Il faut inventer la médecine de demain

François Bonneau, président de la Région Centre-Val de Loire

Chercher un médecin traitant ou prendre rendez-vous chez un spécialiste prend du temps. En Centre-Val de Loire, il y a trop peu de professionnels de santé. Pour tenter d’y remédier, la Région souhaiter embaucher des médecins à partir de cette année, mais surtout d’œuvrer pour l’attractivité du territoire. Entretien avec François Bonneau, président de la Région Centre-Val de Loire.

La Région Centre-Val de Loire compte plus de 2,5 millions d’habitants pour environ 40 000 professionnels de santé : notre territoire est un désert médical. Est-ce un cas isolé ?

Malheureusement, la situation du Centre-Val de Loire est réelle pour tous les territoires français, en dehors de l’Ile-de-France, et encore, ainsi que de l’hyper-littoral méditerranéen et atlantique. Il existe un problème de présence médicale à l’échelle nationale, avec une mauvaise répartition des médecins généralistes et des médecins spécialistes. Ce n’était pas le cas il y a quarante ans.

D’où vient cette mauvaise répartition ?

Aujourd’hui, moins de médecins veulent travailler 80 heures par semaine, ce qui se comprend parfaitement. En Centre-Val de Loire, à cet égard, on a un élément renforçant : avant, environ 340 médecins étaient formés, chaque année, dans la région ; il y en a eu de moins en moins, à cause du numerus clausus. Certaines années, moins de 100 jeunes suivaient ces études… ça a créé une situation largement déficitaire que ce soit en termes de généralistes, de spécialistes, de libéraux, de médecins hospitaliers, dans le privé comme dans le public.

A partir de la rentrée de septembre 2020, le numerus clausus sera d’ailleurs supprimé. Le nombre de places en fac de médecine va-t-il donc augmenter ?

Dans la région, la seule fac proposant la médecine est celle de Tours. Le doyen a accepté une hausse du nombre d’étudiants pour arriver à 300 par an. A terme, le plan 100 % Santé de la Région doit permettre d’en accueillir 340 d’ici 2025. Une nouvelle formation devrait également ouvrir, et j’ai l’espoir que ça se fasse rapidement : une filière d’ondotologie. Dès la rentrée de septembre, 100 kinésithérapeutes vont aussi être formés en région.

Tous ces jeunes professionnels de la santé restent-ils là où ils ont fait leurs études ?

Les infirmiers et infirmières s’installent souvent, à 70 %, dans la région. Mais c’est normal qu’il y ait du mouvement. Pour les médecins, c’est plus compliqué car après leur 5E année, ils passent l’examen du classement national qui les affecte dans toute la France selon la spécialité choisie. Ça redistribue tout.

Mais alors comment attirer les médecins ?

Pour relever le défi, l’essentiel n’est pas de ressasser cette situation déficitaire. L’ancien modèle d’installation des médecins n’existe plus. Il faut inventer la médecine de demain. Les jeunes professionnels souhaitent exercer en collectif, en mêlant le diagnostic et le soin, être pluriels. Une part d’entre eux veulent également être salariés. En étant imaginatif et en ayant des projets, on peut leur donner envie de s’installer en Centre-Val de Loire. L’attractivité vient d’une offre d’installation médicale plus agréable, plus facile. Ce travail est fait conjointement entre la Région, l’Agence régionale de santé, les collectivités, les professionnels de santé eux même ainsi que la fac de médecine. 

 

« L’attractivité vient d’une offre d’installation médicale plus agréable, plus facile  » 

Justement, la Région veut créer des postes de médecins salariés. Où en est ce projet ?

La Région n’a pas de compétences sur la santé, sauf en ce qui concerne le paramédical. Pour qu’elle embauche des médecins, il faut créer une structure et un support juridique. Sur ce point, une rencontre avec la Ministre de la santé, Agnès Buzyn, est programmée bientôt. L’objectif est d’atteindre les 150 médecins salariés, à raison d’une trentaine de postes par an, par la Région dans cinq ans. En pratique, la Région collecterait le montant des consultations versé par la Sécurité Sociale, ce qui permettrait de payer les salaires des professionnels de santé embauchés. C’est la première démarche de ce genre en France. Les premiers recrutements pourraient même être lancés au cours de l’année 2020.

Quel est l’avantage, pour un médecin généraliste, d’être salarié ?

Tout d’abord, ils n’ont plus de responsabilité financière ni de responsabilité administrative. Ils n’ont pas à chercher à s’installer, seul. Mais pour embaucher, il faut avoir des structures médicales. En complément des 150 Maisons de santé pluridisciplinaire de la région (où les médecins associés sont soit salariés soit libéraux), quatre Centres de soins vont être créés. Il existe déjà des structures de ce type, gérées par les collectivités, à Chalette-sur-Loing, à Vierzon et à Romorantin. Et ça fonctionne !

La salariat pourrait donc être une solution pour les médecins. Mais est-ce positif pour le maillage médical du territoire ?

Les Centres de soins et les Maisons de santé pluridisciplinaire s’inscrivent souvent dans des projets de territoire. Ils s’installent là où on est dépourvu d’offre médicale. Il faut qu’il y ait une logique entre ces établissements et les maisons de garde, les hôpitaux. On a un vrai problème avec les urgences ! Dans l’idéal, les actes médicaux mineurs devraient être transférés dans les maisons de garde.
Pour les maisons de santé pluridisciplinaire, il y a une relative égalité car les projets, montés par des médecins, sont d’abord acceptés par l’Agence régionale de santé ; puis ils sont subventionnés par l’Etat, la Région et les intercommunalités concernées. C’est ça, un projet médical de territoire, il faut y croire.

Aujourd’hui, il est difficile de trouver un médecin traitant dans la région ou de prendre rendez-vous avec un spécialiste. N’y a-t-il pas un problème d’accès aux soins ?

Nous vivons dans un pays où tous les citoyens contribuent à la société, et donc ont le droit de se faire soigner. Il n’y a pas de chose plus importante que la promesse considérable d’accès universel aux soins, c’est une vraie promesse d’égalité. Pendant un temps, le libéral a apporté une bonne réponse à cette fameuse promesse. Mais ce n’est plus du tout évident actuellement : nous continuons de payer mais la réponse n’est plus là.

Faudrait-il entièrement sortir de l’exercice libéral ?

Dans le système libéral, l’argent a son importance mais il ne faut pas oublier qu’on doit répondre aux besoins de la population. On doit se poser la question de la valeur différenciée de l’acte médical : en zone sous densifiée, ces actes seraient mieux rémunérés que ceux réalisés en zone très densifiée. Pourquoi ne pas l’expérimenter pour voir ce que ça donne, voir si ça attire de nouveaux médecins dans la région ? L’avantage reste que le patient ne paie pas plus cher sa consultation mais que les médecins sont mieux rémunérés à la fin du mois. Pour les professionnels, ce serait un système incitatif, pas coercitif.

Propos recueillis par Claire Seznec

FOCUS
D’après une enquête réalisée par la Région Centre-Val de Loire et le CESER, en septembre et octobre 2019, 96 % des répondants déclarent avoir des difficultés dans l’accès aux soins : parmi eux, 36% n’ont pas de médecin traitant et 80 % estiment que les délais de prise de rendez-vous sont trop longs. 54% des répondants ont également déclarés avoir renoncé aux soins au moins une fois dans leur vie.

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