François Cazin, exploitant viticole du Domaine du Petit Chambord à Cour-Cheverny
Exploitant viticole mais aussi président de syndicats professionnels, François Cazin navigue entre son bureau et son chai. « La France, dit-il, est un pays de contradictions ».
Depuis quarante ans, François Cazin travaille la vigne du domaine du Petit Chambord à Cour-Cheverny. Vingt-trois hectares, hérités de son père et de son grand-père. Il en tire un vin dont il est fier, aux teintes de Sauvignon et de Chardonnay.
Mais il est aussi président de la Fédération des associations viticoles du Loir-et-Cher, qui regroupe toutes les appellations du département. Président aussi de la fédération régionale des vignerons indépendants du Centre Val de Loire. Deux casquettes pour deux missions bien différentes, mais au goût cette fois, de défense des intérêts commerciaux, de gestion administrative et réglementaire.
« Le but d’un syndicat de métiers, explique François, est de mettre nos moyens en commun pour gérer, communiquer et vendre ». Pour cela, la fédération régionale s’est offert les services d’une directrice administrative qui travaille pour les trois départements : Indre-et-Loire, Loir-et-Cher et Cher. Car s’il est un changement notable dans la vie des entreprises viticoles depuis trente ans, c’est bien la charge administrative, notamment en raison de la traçabilité et des douanes. Toutes les journées de François commencent invariablement par son bureau.
Une équation à inconnues multiples
La préoccupation principale du vigneron aujourd’hui, c’est de trouver la bonne équation entre la production et le marché. « Depuis dix ans, on vit des excès, dans les deux sens, explique François Cazin. Des années comme 2016, 2017 et 2019, le gel a fait gravement chuter les quantités. A l’inverse, 2018 a été exceptionnelle, avec une production qui perturbe les habitudes du négoce ». Le vin est un produit alimentaire qui répond à des cours qui fluctuent en fonction de l’offre et de la demande. « Avec l’effet COVID, poursuit le président, certaines exploitations sont en grande difficulté. Elles ont accusé 80% de baisse de chiffre d’affaires certains mois ». Pas de vente directe en avril, et des négociants qui ne se sont pas réapprovisionnés. La GMS a certes continué de fonctionner, mais la crise structurelle sous-jacente s’est concrétisée. La récolte exceptionnelle de 2018 avait en effet inondé le marché. Les coopératives et les vignerons qui travaillent avec des négociants ont logiquement le plus souffert.
Alors, pour développer un marché saturé comme la France, la seule solution est l’export. François Cazin en sait quelque chose, lui qui vend 30% de sa production hors de l’hexagone. « Ajoutons qu’en France tout est fait pour limiter la consommation de vin, depuis la loi Evin des années 90. Nous sommes un pays de tradition viticole. Les touristes viennent nous voir aussi pour cela. Ils sont souvent étonnés par ces messages contradictoires ».
Se regrouper
Par le fait des regroupements, le nombre d’exploitations a diminué pour une surface cumulée qui reste la même. « En Val de Loire, il faut en moyenne 20ha pour en vivre, précise François, même si certaines appellations de renom se contentent de dix ». Selon le cahier des charges des appellations, les vignerons sont autorisés à produire en moyenne 50 hectolitres à l’hectare. Mais tous n’ont pas la capacité à commercialiser un tel volume.
Cette année, la récolte sera bonne. En appellations Cheverny (blanc, rouge et rosé) et Cour-Cheverny (blanc cépage Romorantin). Mais le Petit Chambord ne produira pas plus de 50 hectolitres. « C’est un rendement de base, explique le propriétaire, l’objectif est de produire un vin de qualité. Pour cela on est souvent en dessous de 50hl ».
Ce qui fait la différence entre les producteurs, c’est la conduite de la vigne, ici en agriculture raisonnée, certifiée HVE depuis plus de quatre ans. « Je travaille sans intrant depuis dix ans, la certification ne change donc rien à ma façon de travailler. En revanche, c’est une ouverture importante vers de nouveaux marchés à l’export. De plus en plus d’importateurs ne travaillent qu’avec des producteurs bio. La tendance s’affirme incontestablement ». Alors au Petit Chambord, les vendanges sont manuelles et la binette n’est jamais loin pour l’entretien des rangs de vigne.
On traverse une période chaude, mais les printemps à l’inverse subissent le gel ou la pluie en excès. « Un avantage tout de même à cette chaleur récurrente, convient François, la maturité des raisins est assurée sauf accident. Certes on vendange avec un mois d’avance, mais ça ne fait que décaler les autres travaux. Les vins sont moins nerveux, car plus sucrés, avec une acidité plus faible qu’il y a 25 ans ». Le cahier des charges de l’appellation n’interdit pas de faire un vin qui titrerait 14°, mais dans le fond, il ne change pas au fil des ans. Plus de chaptalisation ou presque, et une taille plus longue pour permettre une production plus importante pour éviter les concentrations.
La façon de récolter, le travail de la vigne, la conduite de la fermentation, la date de sous-titrage, les intrants, la température de conservation… sont autant de différences qui font la diversité des vins de Loire.
Par Stéphane de Laage