La réforme de l’apprentissage est entrée en vigueur en janvier 2020. Elle retire aux régions la gestion pleine et entière de l’apprentissage, autorise la création de nouveaux CFA et rebat les cartes du financement. Ces options bousculent les habitudes et redonnent à l’État la main sur la formation.
Si les gestionnaires de CFA et les branches professionnelles ne sont pas totalement opposés à cette réforme, tous regrettent l’attitude jacobine du nouveau système, qui perd en organisation des territoires et gère désormais les apprentis salariés au « coût-contrat ».
Lors de la séance plénière de juillet dernier, François Bonneau, Président du Conseil régional, s’inquiétait de ce virage : « La loi, disait-il, traduit la volonté́ de l’Etat d’inscrire l’apprentissage dans un modèle économique de marché concurrentiel …/… Dans ce nouvel écosystème, les Régions disposent d’une capacité́ d’intervention considérablement réduite ». François Bonneau acte que « cette conception constitue une rupture idéologique avec le dispositif créé par la loi de 1971 qui plaçait alors clairement l’apprentissage hors du champ de la concurrence ».
Lors de son allocution du 14 juillet, Emmanuel Macron disait sans détour : « ne pas signer de contrats d’apprentissage avec des jeunes est irresponsable ». Et le chef de l’État d’inciter les dirigeants des grandes entreprises à « faire leurs 5% d’apprentis ». Ces propos faisaient écho à l’annonce quelques semaines plus tôt d’aides massives pour l’embauche d’apprentis en alternance. Deux réévaluations (et non créations) à savoir : 5.000€ pour l’embauche d’un apprenti mineur, 8.000€ pour un majeur. Ces sommes seront versées sans condition jusqu’en février 2021 pour les entreprises de moins de 250 salariés. Pour les autres : si elles ne justifient pas de 5% de leur masse salariale en alternance d’ici 2021, elles devront rembourser les primes.
L’alternance deviendrait-elle donc enfin une priorité ? Le Gouvernement en tous cas y consacre pas loin d’un milliard d’Euros.
« Ce n’est pas le premier président qui nous le dit », s’inquiète tout de même Gérard Bobier président de la chambre régionale des métiers et de l’artisanat, également président du CFA interprofessionnel de Joué-lès-Tours. François Hollande voulait aussi mettre le paquet, disait-il, pour passer le cap des 500.000 apprentis. Trois semaines plus tard, Jean-Marc Ayrault supprimait toutes les aides à l’apprentissage ».
Pourtant depuis deux ans, les chefs d’entreprises s’accordent à dire que la ministre du travail, Muriel Penicaut a fait « un bon boulot » et permis à l’apprentissage de retrouver des couleurs. « Il n’est plus considéré comme une voie de garage, reconnaît Gérard Bobier. Mieux vaut un bon CAP à 2.000€ qu’un BAC+7 option Pôle emploi ».
Bertrand Lasnier en convient aussi. Il est dirigeant du groupe Lasnier BTP à Blois (80 personnes) et secrétaire régional de l’association BTP-CFA, qui gère les cinq CFA du Centre Val-de-Loire : « Nos métiers sont en effet mieux perçus, admet-il. On a beaucoup fait pour cela, notamment en s’inscrivant dans le développement durable, dans la sécurité des salariés et des chantiers, en valorisant les métiers et surtout les salaires ».
Bâtiment, métiers de bouche, pas le même combat
Pourtant, le bâtiment manque encore de bras, et manquera c’est sûr, d’apprentis dans ses CFA à la rentrée de septembre. « Entre 15 et 20% selon nos chiffres », estime Aline Mériau, présidente de la FFB Loiret. « On cherche des bras ! C’est écrit sur tous les véhicules de l’entreprise Lasnier, insiste son dirigeant. La FFB essaie de remédier au problème, notamment avec des opérations qui vont jusqu’à géo-localiser les demandes et les offres, pour que la distance ne soit plus un obstacle à l’apprentissage ni au travail en entreprise ».
Quant à l’artisanat, à la veille des vacances d’été, on notait un léger fléchissement du nombre de contrats dans le Loiret. Idem dans l’Indre et le Loir-et-Cher, mais pas de catastrophe. Nul doute pourtant que les industries automobile et aéronautique seront fortement impactées, de même que le commerce et la restauration. La CMA régionale garde aussi un œil sur l’esthétique, très en vogue ces dernières années (encore 800 élèves à Tours), mais qui aujourd’hui marque le pas, alors que les sections des métiers de bouche font le plein.
Si les boucheries-charcuteries et les entreprises d’aide à domicile cherchent des apprentis en contrat, on note aussi un regain pour la formation à la remise en état les motocycles et vélos. A Joué-lès-Tours, la section retrouve des couleurs, signe sans doute d’un retour à l’écologie !
Ces facilités qui aident l’apprentissage
– La réforme autorise l’accueil des apprentis jusqu’à 30 ans, tout le monde applaudit sans réserve. « On l’a déjà validé dans l’opération « parcours gagnant », se souvient Jean-Philippe Audrain, patron du CFA horticole de la Moulière à Orléans (500 apprentis). Ça fonctionne bien avec les plus volontaires ».
– Avec la nouvelle loi, les jeunes pourront aussi entrer et rester en apprentissage jusqu’à six mois sans avoir d’entreprise d’accueil et de maître d’apprentissage. Une chance de plus pour eux et les CFA, en particulier en cette période de crise qui a mis les entreprises à l’arrêt, et qui n’ont pas voulu s’engager dès le premier semestre. Mais le problème risque de n’être que reporté, pour apparaître sans doute plus grave encore au mois de février prochain. Le jeune qui n’aura rien ne sera pas plus financé.
– Quant aux primes, les avis divergent. Pour être appréciées du plus grand nombre, elles sont tout de même regardées avec circonspection. « C’est bien, reconnait Gérard Bobier, mais les chefs d’entreprises n’embauchent pas pour toucher une prime ». Des chefs d’entreprises qui admettent tout de même que pour les apprentis majeurs c’est bien puisqu’avant il n’y avait rien ou presque. « Nous aurions souhaité 8.000 € pour les mineurs aussi ». Les associations et les collectivités auraient aussi aimé en bénéficier puisqu’elles sont souvent de gros employeurs.
Les CFA en ordre de marche
Le campus des métiers de Joué les Tours compte 1.800 apprentis. Comme au CFA de la CMA d’Orléans (lire notre éd. de juillet), les journées portes ouvertes se sont déroulées en visio et par webinaire, auxquels se sont ajoutés près de 500 entretiens téléphoniques et WhatsApp.
« On est passé de 2 à 4 développeurs de l’apprentissage, insiste Gérard Bobier. Ils vont dans les entreprises pour trouver les stages, relancent les entreprises qui prenaient des apprentis et ne le font plus, et contactent celles qui n’ont jamais pris d’apprentis ». Un niveau de GRC, Gestion Relation Client, des plus performant, grâce auquel le taux de rupture devrait être limité. « Déjà durant la crise, 80% des jeunes faisaient des cours en visio. On continuera », poursuivent unanimes, les directeurs de CFA. D’autant que s’ajoute la prime gouvernementale de 500€ pour équiper les jeunes les plus fragiles en informatique.
[…] Par Stéphane De Laage