Quand l’entreprise ne vend plus un bien, mais vend l’usage de ce bien

L’Économie de la Fonctionnalité et de la Coopération (EFC) est une notion encore méconnue en France. Celle-ci remet en cause le principe d’obsolescence programmée et le modèle économique actuel où la quête perpétuelle des volumes consomme toujours plus de matières premières et entraine des pénuries.

Isabelle Jeanneau est la directrice de Nékoé, club orléanais qui existe depuis 2005 et qui accompagne les entreprises de la région Centre-Val de Loire souhaitant s’inscrire dans une démarche d’EFC. Selon elle, « l’EFC n’est pas un modèle économique, mais une trajectoire de transformation. Il faut penser autrement pour faire autrement. L’EFC part d’une double intention. D’abord, associer sobriété et performance économique. Ensuite, avoir un impact positif sur la société et sur l’environnement, c’est-à-dire sur l’être humain et sur la biodiversité. L’EFC, c’est passer de vendre du volume à vendre de la valeur. C’est s’engager à apporter un résultat à son client. » Autrement dit, on passe de la vente d’un bien à la vente de l’usage de ce même bien. Ce bien reste donc la propriété de son fabricant tout au long de son cycle de vie. D’autre part, on passe de la vente d’un service à la vente de la performance d’usage en s’engageant sur le résultat attendu. Dans tous les cas, l’offre s’adapte aux besoins réels du client.

« L’EFC n’est pas un modèle économique, mais une trajectoire de transformation. »
Isabelle Jeanneau
Directrice de Nékoé

 

« Une trajectoire de transformation »

Pour mieux comprendre la notion d’EFC, prenons deux exemples concrets. Au lieu de vendre des pesticides, il s’agira d’apporter une solution de protection des champs facturée à l’hectare. De plus, la vente de l’usage d’un bien oblige l’entreprise à réaliser et financer les services associés, comme la réparation de ce bien par exemple. Une entreprise peut ainsi se spécialiser dans la location, la maintenance et le recyclage de revêtements de sols au lieu de vendre uniquement ces mêmes revêtements de sols.

Selon Isabelle Jeanneau, « l’EFC suppose que l’entreprise et son client travaillent différemment. Ils doivent coopérer. Le client doit faire un effort d’ouverture. Pour l’entreprise, il s’agit aussi d’une coopération externe. Elle doit recruter de nouvelles compétences ou s’associer avec d’autres entreprises. » D’autre part, dans une démarche d’EFC, la hausse du chiffre d’affaires d’une société n’est pas forcément synonyme d’une augmentation de sa consommation de matières premières. Cette société doit prendre en compte ses externalités, positives et négatives, et développer ses ressources immatérielles au détriment des ressources matérielles.

Selon Isabelle Collin-Fevre, ingénieure économie circulaire et déchets à l’ADEME Centre-Val de Loire, « l’EFC fait partie d’un élément plus global réunissant l’économie circulaire et la transition écologique, économique et sociale. L’EFC répond au problème des ressources au niveau national et international. »

« L’EFC fait partie d’un élément plus global réunissant l’économie circulaire et la transition écologique. »
Isabelle Collin-Fevre
Ingénieure économie circulaire et déchets à l'ADEME Centre-Val de Loire

 

Un bien durable et robuste

Au premier abord, on pourrait penser qu’un usage plus intensif d’un bien entrainerait une baisse de la durée de vie de ce bien et ainsi empêcherait une diminution de la consommation de matières premières. A cela, Isabelle Jeanneau répond : « l’entreprise doit changer sa façon de fabriquer son produit. Ce ne sera plus le même bien. Cela oblige à fabriquer des pièces détachées facilement remplaçables. L’intérêt est donc d’avoir un bien qui tient le coup. »

D’autre part, l’EFC nécessite une sortie du modèle industriel actuel. Cela semble contradictoire avec la volonté des politiques de réindustrialiser la France lorsque ces mêmes politiques critiquent d’une seule voix la désindustrialisation du pays. Là aussi, Isabelle Jeanneau remet en cause cet argument. « Il faut distinguer le modèle industriel fordien de l’industrialisation. Le modèle actuel, c’est produire de plus en plus en moins en moins de temps. L’objectif à court terme est de faire le maximum de profit. D’autre part, l’industrialisation n’est pas une mauvaise chose. Elle peut être associée à l’éco-conception par exemple. Elle permettrait de remettre le savoir-faire au cœur de nos territoires. »

 

Trois exemples de chefs d’entreprises inscrits dans une démarche d’EFC :

Hélène Letourneau est cogérante de l’entreprise Publi Relief spécialisée dans la conception, la fabrication et l’installation de signalétiques. Depuis 2017, la jeune femme développe un nouveau concept appelé Amontsignal proposant aux entreprises un abonnement et un accompagnement dans la durée concernant l’animation de leur façade commerciale. Cet abonnement prend en compte le plan d’action de communication visuelle défini conjointement avec le client. « L’objectif est de passer à une économie d’usage en s’appuyant sur les clients de Publi Relief pour les transformer en clients abonnés chez Amontsignal. » explique la cogérante. Avec une dizaine d’abonnés, dont un opticien et une fromagerie, l’entreprise entend mieux prendre en compte les besoins et les objectifs du client et ainsi faire évoluer son offre dans le temps en fonctions de ces besoins. « Il faut faire vivre intelligemment la façade commerciale » poursuit Hélène Letourneau.

Gestionnaire de sociétés depuis 35 ans, Pascal Goillot est le PDG de Logic Intérim 45 depuis trois ans. « En plus de la formation de nos intérimaires, on inverse le processus, explique le PDG. On cherche des profils intéressants pour nous, on définit avec la personne ce qu’elle veut dans la vie et on essaye de lui trouver l’entreprise adéquate. On est dans la bienveillance, le respect et le bien-être de l’intérimaire. On valorise la valeur de notre entreprise, c’est-à-dire l’intérimaire. On veut faire de la qualité plutôt que de la quantité. »

Depuis 2009, Thierry Lauvergeat est le dirigeant de Culture Miel, entreprise spécialisée dans la fabrication de miels, de biscuits et de confiseries. « Je regarde mon entreprise différemment. Il faut sortir du schéma dans lequel on est. Il faut valoriser les services. Il faut travailler sur nous-mêmes, sur nos modèles, même si le processus est long. » Concrètement, la miellerie a déjà mis en place la vente de ses invendus sur l’application Too Good To Go afin de limiter le gaspillage.

 

Maxence Yvernault

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