Le golf des Pommereaux dans le bunker

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Protection des espèces, des zones humides et de la ressource en eau, lutte contre l’artificialisation des terres… autant d’éléments qui viennent de porter au projet de complexe touristique du Domaine des Pommereaux un coup qui risque d’être fatal.

Contrairement aux irréductibles gaulois en proie au Domaine des Dieux*, les opposants au projet de complexe touristique dit du Domaine des Pommereaux – comprenant notamment plus de 550 villas et appartements, un complexe hôtelier, un golf, un centre équestre… –, situé sur les communes de La Ferté-Saint-Cyr et de Saint-Laurent-Nouan, n’auront point eu besoin de potion magique pour entraver son essor. Les normes, qui croissent en France aussi vite que les chênes dudit album, devraient suffire. 

Connu un temps sous l’appellation de « Chambord Country Club » avant que le Domaine de Chambord, cette fois, n’en prenne ombrage, ce projet, abandonné puis repris, vient en effet de subir successivement deux coups d’arrêt qui risquent fort de lui être fatals. Le premier le 24 janvier, avec l’annulation par le tribunal administratif d’Orléans du plan local d’urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Grand Chambord, en visant précisément le zonage relatif au projet. Le second le 16 février, avec l’arrêté préfectoral refusant à la société Saneo, porteuse du projet, l’autorisation environnementale nécessaire.

Recours possibles 

Des recours contre ces deux décisions sont évidemment possibles. Contacté, le promoteur du projet, Bernard Saunier, nous a indiqué qu’il ne ferait « aucune déclaration sur la décision du préfet » (sur le reste non plus, d’ailleurs, puisqu’il a coupé court à la conversion).

Côté PLUi, si l’annulation devait être confirmée, il apparait peu probable que le renforcement des contraintes en matière d’artificialisation des terres (avec les révisions en cascade à venir des schémas régionaux, des SCoT et des PLUi induites par la loi Climat) ne permette à l’avenir un tel projet qui, selon l’avis de la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe), est « susceptible de conduire à la suppression de 244ha de terres agricoles, de 90ha de boisement et de 125ha de zones humides ». Ce qui ne l’avait pour autant pas empêché d’obtenir un avis favorable, avec réserves, de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. 

Côté autorisation environnementale, les motivations du refus du préfet – qui tient à assumer une décision « prise en [s]on âme et conscience, sans passion et sans pression » – sont nombreuses et d’inégale importance. Certaines insuffisances du dossier pourraient sans doute être rectifiées. Le nœud du problème reste la nécessité d’une « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM pour les intimes) pour l’obtention d’une dérogation au principe de protection des espèces. Or, estime le préfet, « il existe bien un intérêt, clair. Public, cela peut se discuter. Mais il n’est dans tous les cas pas majeur ». Même si le juge éventuellement saisi devait retenir une autre analyse, il est une autre condition, cumulative, qui devra alors être vérifiée : l’absence d’une solution alternative satisfaisante pour répondre à l’objectif poursuivi. Or l’avis de la MRAe pointe le fait que le dossier ne fait « pas état de prospections qui auraient permis d’identifier d’autres sites susceptibles de faire l’objet d’une valorisation ». En l’état de la jurisprudence, et sauf démonstration contraire, on peine à croire que le juge pourrait en conséquence retenir cette condition comme remplie.

Un projet « pas dans l’air du temps »

Au-delà, le projet souffre de ne pas être « dans l’air du temps » (signe qui ne trompe pas, les motions défavorables votées par les conseils départemental et régional). Le fait de s’inscrire en pleine zone Natura 2000 « Sologne » ne plaide clairement pas en sa faveur, alors que la protection de la biodiversité est désormais une priorité affichée. Le fait de s’articuler autour d’un golf, horresco referens, dans un territoire qui en compte déjà un, ne facilite pas non plus son acceptation, alors que ce hobby est devenu l’une des cibles privilégiées des activistes. Mais c’est surtout l’artificialisation des terres qui est dans les têtes. En témoigne l’arrêté préfectoral, qui invoque un projet « contraire à l’esprit de la loi climat au regard des objectifs de zéro artificialisation nette (ZAN) » (objectif fixé pour 2050). Pour l’heure, le préfet n’a pas de pouvoir en la matière. Mais l’attention des élus ne cesse d’être attirée sur les « coups partis », entendre la validation de projets qui consommeraient d’emblée toutes les surfaces artificialisables dont ils pourront disposer entre 2021 et 2030 (égales, en théorie, à la moitié du nombre d’hectares artificialisés entre 2011 et 2020).

Certes, la loi n’est dans les faits par encore applicable. Plus encore, le législateur est déjà en train de remettre l’ouvrage sur le métier (souvent législateur varie, bien fol qui s’y fit, aurait jadis théorisé François Ier…). D’abord parce que faute d’étude d’impact préalable sérieuse, il touche petit à petit les difficultés concrètes engendrées par son texte. Mais aussi parce qu’il estime que les décrets d’application pris par le gouvernement sont eux-mêmes contraires à l’esprit de la loi qu’il a votée… Reste qu’il n’est pas contestable que le ZAN est en passe de devenir l’alpha et l’oméga des politiques publiques. Nombre d’élus n’ont en outre pas attendu la loi Climat pour lutter contre l’étalement urbain (en témoigne la décision du tribunal administratif).

 

L’air du temps peut-il être polyphonique ?

Le fait que l’artificialisation engendrée par le projet des Pommereaux soit essentiellement dédiée au tourisme ou à des résidences secondaires a également été critiquée. Alors que le ZAN va tendre davantage encore la construction de logements, déjà cruellement insuffisante en France, l’argument n’est pas sans porter. Nul doute que le phénomène émergent de bi-résidentialité ne devrait pour cette raison pas tarder à être dans le collimateur. Reste que Jérôme Fourquet et Jean-Claude Cassely** montrent, en prenant l’exemple du Perche voisin, que les bénéfices pour la population locale de la « gentrification rurale » sont loin d’être nuls (sauf fonctionnement en vase clos, s’il est possible). Le covid, en favorisant le télétravail, a également rebattu les cartes. Promue (pour les autres), la densification urbaine ne séduit guère et l’appel de la campagne se fait de nouveau clairement entendre. Signe qu’un projet de ce type – sous une autre forme – n’est sans doute pas sans répondre à un autre « air du temps ».

Au-delà, une France déjà désindustrialisée – qui peinera fort à inverser le mouvement, contrarié notamment par le coût de l’énergie –, et dont le déficit commercial vient de battre un nouveau record, peut-elle envisager de se passer, aussi, du tourisme ? Gageons que si le « tourisme industriel » gagne des adeptes, il est douteux que le parisien en manque de verdure ou l’étranger désireux d’expérimenter le « bien-vivre à la française » entende passer ses vacances dans une zone industrielle, fût-elle renaturée. Revitaliser la « France périphérique » sans « construire des villes à la campagne », comme l’avait théorisé Alphonse Allais, tel est l’enjeu.

* R. Goscinny, A. Uderzo, 1971

** La France sous nos yeux, 2021

Frédéric Fortin

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