Maître Aymeric Rouillac
Organisée par la maison de vente Rouillac, la vente aux enchères en ligne #SoutiensUnArtiste a rapporté 212 000 €. Des recettes qui ont profité en intégralité aux artistes, « grands oubliés » des mesures gouvernementales selon Maître Aymeric Rouillac, commissaire-priseur.
Si de nombreuses ventes de charité au profit des soignants ont eu lieu depuis le début de la crise, l’initiative de Maître Rouillac est unique. À l’origine, plusieurs artistes le sollicitent pour lui faire part de la manière dont la crise les fragilise. « Ils n’ont pas d’intermittence ni d’assurance chômage. S’ils ne vendent pas, ils se retrouvent dans des situations dramatiques », explique le commissaire-priseur. Pour leur venir en aide, ce dernier décide d’organiser une vente en ligne sans prendre aucune somme sur les ventes. « Notre activité s’est arrêtée brutalement du jour au lendemain, mais notre situation n’était pas aussi dramatique que la leur », justifie celui dont l’initiative réunit très vite différents acteurs du monde de l’art.
Le magazine Artension, le Centre de création contemporaine Olivier Debré (CCCOD), le salon Puls’Art, la fondation Taylor ainsi que plusieurs galeries se joignent au projet. Une communication importante est faite sur les réseaux sociaux, la mayonnaise prend. Des artistes font également don d’oeuvres afin de soutenir leurs confrères fragilisés. Après un travail considérable de sélection, 500 oeuvres sont mises en vente entre le 30 avril et le 6 mai. Un chiffre important pour la maison Rouillac, dont les ventes plafonnent d’ordinaire à environ 3000 oeuvres par an. « Sur notre site internet, on a eu en quelques jours la fréquentation que l’on observe d’habitude sur 5 mois… Notre webmaster a été costaud ! », s’amuse Maître Rouillac, ajoutant que le fait d’avoir déjà organisé des ventes aux enchères en ligne par le passé a été un réel atout.
Une toile de l’artiste Robert Combas, figure de la figuration libre, est mise à prix à 9000 €. Elle s’arrache à 24 000 € : les enchérisseurs jouent le jeu. Finalement, près de la moitié des oeuvres sont vendues, pour un total de 212 000 €. Un montant élevé, très fort symboliquement puisqu’il représente « une aide immédiate et cash » selon Maître Rouillac. Le produit de la vente est entièrement reversé aux créateurs, ou dans le cas des oeuvres données, versé au fonds de soutien #SoutiensUnArtiste. Administré par la fondation Taylor, ce dernier va permettre de distribuer 86 bourses de 1000 € aux artistes en situation de grande précarité. Une bonne nouvelle pour ceux qui « sont les plus généreux et les plus sollicités, et jouent toujours le jeu quand on leur demande de donner des oeuvres pour des actions de charité », explique Maître Rouillac, qui ajoute s’être senti utile. « Quand tout s’arrête et que le monde continue de tourner, on se pose la question de son utilité… Et là, on a vu que l’on avait une vraie responsabilité. »
Par Juliette Lécureuil
L’artiste peintre Jean Fourton
« Donner une toile était un geste fraternel ordinaire »
Pour apporter sa pierre à l’édifice, le peintre tourangeau Jean Fourton a donné son tableau intitulé « Un peigne tombé dans l’herbe », exposé au Château de Tours en 2019. Lui n’a pas besoin de vendre – il a exercé au cours de sa vie plusieurs métiers, dont celui de psychanalyste et d’écrivain –, mais a conscience des difficultés que peuvent rencontrer les artistes. « Beaucoup d’amis peintres ont un immense talent et ne se vendent pas », déplore-t-il. En règle générale, parce qu’il est souvent difficile de répondre à la demande du marché lorsque l’on crée, et a fortiori en période de crise, où les activités dites « non essentielles », dont font partie maisons de vente et galeries, sont à l’arrêt. « L’initiative bénévole de Maître Rouillac est prodigieuse, et donner une toile était un geste fraternel ordinaire. Je ne sais pas qui bénéficiera du montant de la vente et je m’en fiche : tant que cela peut faire le bonheur d’un artiste ! »
Le peigne tombe dans l’herbe de Jean Fourton
Toile de l’artiste Robert Combas