Face à la pénurie de main d’œuvre, qui touche désormais tous les secteurs, la sous-préfète de Vendôme sonne la mobilisation générale. Particulièrement recherchée, la promotion d’un secteur industriel aussi méconnu du grand public que crucial pour l’arrondissement. Un exercice qui nécessite malheureusement du temps et… beaucoup d’abnégation.
5,3%. Tel était le taux de chômage de la zone d’emploi de Vendôme au 4e trimestre 2021, chiffre publié par la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités en avril dernier. Le plus faible taux de la région Centre. « Proche du plein-emploi », estime la sous-préfète de Vendôme, Magali Chapey, qui multiplie les réunions pour trouver des solutions à la pénurie de candidats à laquelle font face bon nombre d’entreprises. Avant le secteur de l’aide à domicile le lendemain, elle se plaçait ainsi le 26 avril dernier au chevet de l’industrie, en réunissant « en petit comité » élus, représentants des entreprises, des administrations et du monde associatif pour « relancer la dynamique ».
Industrie, cruciale mais méconnue
« L’industrie est un secteur très important sur le territoire. Pas toujours très bien connu du grand public, il souffre de la concurrence que se livrent désormais tous les secteurs en matière de recrutement », explique Valérie Géré, du service Animation territoriale de la direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations. Magali Chapey partage diagnostic et remède : « La crise sanitaire a changé les mentalités. Beaucoup d’employés n’hésitent plus à changer non seulement d’entreprise, mais aussi de métier, et même de secteur, de l’hôtellerie vers les transports par exemple. Il est donc nécessaire de renforcer l’attractivité du secteur, en faisant en sorte que les candidats comprennent ce que recouvre vraiment l’industrie ». « Les chaudronniers ne font pas des chaudrons et ne ressortent pas tout noir le soir de leur entreprise », plaide à son tour Magali Royer-Marty, maire de Naveil et dirigeante de Vendom’Inox. Pour déchirer ces images d’Épinal, les différents intervenants soulignent l’efficacité « des visites d’entreprises, notamment par les scolaires », mises à mal par le covid. Tous actent le besoin de les reprendre au plus vite. Las, « on rencontre toujours des difficultés à se faire ouvrir les portes des collèges », remarque Frédéric Deparpe, président du cercle des entreprises du Vendômois. Aucun représentant du monde scolaire – par ailleurs accusé de continuer à véhiculer une image peu valorisante des métiers manuels – n’est du reste présent autour de la table. « Il faut retravailler avec l’éducation nationale ! », insiste Magali Chapey, qui souligne également l’importance de la pédagogie au-delà des seuls élèves : « On arrive souvent à convaincre les enfants de l’intérêt de ces métiers et des opportunités de carrière qu’ils offrent. Plus difficilement les parents… ». Dans l’autre sens, Magali Royer-Marty déplore que « trop peu d’entreprises connaissent le lycée Ampère, alors que c’est une véritable pépite. Or, plus nous formerons nos jeunes localement, plus les chances qu’ils restent dans la région seront grandes », pronostique-t-elle.
Besoins pressants
La solution n’est toutefois que de long terme, alors que les besoins sont pressants. « Sur certains profils, comme les techniciens de maintenance, nous sommes contraints d’aller recruter de plus en plus loin, au-delà des frontières régionales », indique Franck Cannarozzi, DRH de Brandt à Vendôme. Ce qui ne va pas sans créer des difficultés. Qu’elles soient internes : « les prétentions salariales de ces candidats sont grandes, et pas toujours justifiées. Il faut pouvoir les intégrer dans une politique salariale déjà en place », précise-t-il. Ou externes : « Il faut qu’ils puissent se loger, que leur conjoint trouve un poste à proximité, que leurs enfants trouvent une école… », renchérit Michel Esnault, DG de la société Trigano Jardin, sise à Cormenon, près de Mondoubleau. Le dirigeant relève que le défi est d’autant plus grand pour les entreprises « excentrées », surtout avec un coût du carburant qui s’envole. « Nous recevons habituellement 80 candidatures spontanées pour notre activité saisonnière. Nous n’en avons même pas reçu 20 cette année. Pour faire face, nous avons été contraints de rappeler des employés récemment partis en retraite. Nous avons également recours à la mobilité interne, en assurant nous-même la formation », dévoile-t-il. Le phénomène est général : « Les entreprises revoient leurs exigences à la baisse. Ils n’attendent plus un spécialiste du poste. Ils sont prêts à assurer eux-mêmes la formation nécessaire. Ils veulent juste quelqu’un de motivé », témoigne Frédéric Deparpe.
Formation… avant la formation
Pourtant, si le taux de chômage est faible, le vivier de candidats potentiels n’est pas encore totalement tari. Au débotté, Carole Hardion, qui dirige l’agence vendômoise de Pôle Emploi, estime à « près de 2.400 les demandeurs d’emplois de catégorie A inscrits sur l’arrondissement, dont environ la moitié de longue durée, parmi lesquels 400 de très longue durée ». Le chiffre atteindrait les 5.000 en ajoutant les catégories B et C, qui ne sont toutefois au mieux que partiellement disponibles. « Sans compter ceux qui ne sont pas ou plus inscrites à Pôle Emploi », ajoute Laurent Delcoux, à la tête de la Mission locale du Vendômois. Pour ces « personnes les plus éloignées de l’emploi », Carole Hardion relève que la « préparation opérationnelle à l’emploi – une formation co-construite par Pôle emploi et une entreprise ou une branche qui permet aux candidats d’acquérir les compétences requises par ces dernières, avec laquelle on obtient d’excellents résultats – ne suffit pas toujours. Il faut alors conduire en amont de véritables formations de savoir-être ». Parmi elles, les « ateliers de remobilisation », qui visent à redonner estime de soi, motivation et parfois même règles élémentaires de vie en société. Un travail de longue haleine, qui n’est pas sans mettre à mal… la motivation des organisateurs eux-mêmes ! « Nous avons récemment mis sur pied un atelier pour onze jeunes. Tous, relancés par téléphone la veille, avaient confirmé leur participation. Le jour J, deux seulement étaient présents », témoigne une Carole Hardion un rien désabusée. Laurent Delcoux confirme ces difficultés, qui dépassent de loin la seule question de l’emploi : « On rencontre une défiance croissante à l’égard des institutions, quelles qu’elles soient. Et paradoxalement, on a affaire à un public très exigeant, qui estime avoir beaucoup de droits, et peu de devoirs ». À l’inverse, il a été souligné que plusieurs réfugiés ukrainiens à la recherche active d’un travail avaient déjà fait le bonheur d’entreprises locales en mal de personnel. « C’est un flux qu’on ne peut pas ignorer », insiste Magali Royer-Marty. En aparté, un entrepreneur relève que la guerre en Ukraine, au vu de ses conséquences économiques – raréfaction et explosion des coûts des matières premières, des matériaux et de l’énergie, qui risque d’autant plus de mettre à mal les carnets de commande que les particuliers sont également durement touchés par l’inflation –, pourrait fort bien régler à brève échéance la question de la pénurie de main d’œuvre. Dans un sens malheureusement guère enviable.
Frédéric Fortin