Interview. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture « La souveraineté alimentaire est une question de liberté »

Marc Fesneau est ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire depuis le 20 mai 2022. © MASA

Après deux mandats de ministre en charge des relations avec le Parlement, Marc Fesneau a été nommé ministre de l’Agriculture le 20 mai dernier. Une belle promotion et un « retour à la terre » pour l’ancien élu de Marchenoir, où il vit toujours, et dont la carrière professionnelle a débuté à la chambre d’agriculture du Loir-et-Cher. Il répond à nos questions sur l’actualité et les enjeux de l’agriculture française.

L’Épicentre : Après deux postes de dimension plutôt politique, vous accédez à une fonction plus opérationnelle avec le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Dans quel état d’esprit avez-vous abordé ce nouveau mandat ?

Marc Fesneau : Ce ministère est à la fois celui du temps long, mais aussi celui de la gestion de crise à laquelle il faut faire face aux côtés des agriculteurs. Depuis ma nomination, je n’ai cessé d’aller sur le terrain, à leur rencontre. Pour relever les défis qui attendent notre agriculture, je suis dans un état d’esprit d’action : avec une méthode, une ambition qui se décline en objectifs. Je crois dans le dialogue et dans la planification pour faire avancer les sujets car ce qui compte à la fin, c’est de garantir plus de souveraineté, plus de durabilité et plus de résilience pour nos agriculteurs et nos concitoyens dans un contexte de changement climatique pour toute notre chaîne alimentaire.

Le plan stratégique national français de politique agricole commune approuvé fin août par la Commission européenne trace la feuille de route pour la période 2023-2027. Pouvez-vous nous en résumer les axes principaux et les bénéfices attendus pour les agriculteurs et le monde rural ?

Le plan stratégique national français, c’est plus de neuf milliards d’euros par an de crédits européens et nationaux au profit de notre agriculture et de plus de 400 000 bénéficiaires. Grâce au dialogue fructueux et efficace mené avec l’ensemble des parties prenantes, ce plan a pu être finalisé dans le calendrier que nous nous étions fixés permettant ainsi aux agriculteurs français de disposer de la visibilité nécessaire pour réaliser leurs semis et planifier leur assolement et leur conduite d’exploitation. Entrant en vigueur le 1er janvier 2023, il porte trois ambitions principales – économique, environnementale et sociale – et vise à permettre à nos producteurs de s’engager pleinement dans les transitions, tout en relevant le défi de la compétitivité et de la souveraineté de nos filières alimentaires.

L’un des problèmes majeurs de l’agriculture française réside dans la paupérisation du métier d’agriculteur qui entraîne une importante crise des vocations. Quelles solutions l’Etat peut-il mettre en œuvre pour remédier à cette situation très préoccupante ?

Sans rémunération au juste prix, nous ne pourrons pérenniser notre agriculture et permettre l’installation de nouveaux agriculteurs. C’est tout l’enjeu des lois Egalim 1 et 2. Dans moins de 10 ans, près de 60 % des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite. Or, le nombre d’installations d’agriculteurs reste stable, autour de 13 000 installations par an, mais ce n’est pas assez pour compenser les départs. Le défi démographique est donc majeur et c’est bien tout l’enjeu du pacte d’orientation et d’avenir annoncé par le Président de la République le 9 septembre dernier. Il nous faut repenser le renouvellement des générations en travaillant notamment sur quatre piliers : l’orientation et la formation, la transmission, l’installation et la transition et l’adaptation face au changement climatique.

Le problème de la ressource en eau se pose de façon de plus en plus prégnante d’année en année. Comment le ministère de l’Agriculture appréhende-t-il cette question et quelles mesures doivent être prises ?

Le dérèglement climatique n’est pas un horizon, c’est du concret pour nous tous et particulièrement pour nos agriculteurs qui sont en première ligne dans les épisodes de gel, de grêle, de sécheresse, on l’a encore vu cet été… Concernant la ressource en eau, je tiens à saluer tout le travail déjà mené avec les Assises de l’eau et le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique qui ont permis de créer des cadres de concertation communs pour des orientations claires. Désormais, il nous faut avancer en activant des leviers d’actions complémentaires : l’adaptation pour faire évoluer les pratiques vers un modèle agricole moins demandeur en eau, les ouvrages pour développer des dispositifs permettant un accès à l’eau, et l’innovation avec par exemple l’enjeu de la réutilisation des eaux usées

 

Le ministre de l’Agriculture accompagnait le Président de la République lors de l’inauguration de l’événement Terres de Jim à Outarville (Loiret), le 9 septembre dernier. © Présidence de la République

Vous avez été à l’origine de la création d’une filière bois-énergie en Centre-Val de Loire, envisagez-vous de la développer au niveau national ainsi que d’autres moyens de production d’énergie à partir de l’activité agricole ?

Je souhaite un développement national harmonieux, solide, et nécessairement en lien avec les territoires, des filières énergétiques à base de biomasse. En France, le bois-énergie représentait 33 % de la production primaire d’énergie renouvelable en 2020 : il constitue la première source d’énergie renouvelable. La ressource en biomasse demeure, un élément central dans le scénario de sobriété énergétique. En effet, il s’agit d’atteindre une production de ressources en biomasse environ 2,5 fois plus importante qu’aujourd’hui. Cette mobilisation doit être réalisée de manière durable en améliorant la gestion forestière, la gestion des terres agricoles ainsi que la gestion des déchets. La filière forêt-bois a été retenue dans les secteurs stratégiques de France 2030 avec une enveloppe dédiée de 500 millions d’euros.

L’innovation en agriculture avance à grands pas comme l’illustre la création de l’AgreenTech Valley, dédiée aux technologies numériques pour le végétal, sur le campus Xavier Beulin d’Orléans. Quelles sont aujourd’hui les priorités du ministère de l’Agriculture dans ce domaine ?

Le pacte d’orientation et d’avenir pour l’agriculture que je porterai l’an prochain comportera un axe fort sur l’innovation en agriculture. Nous aiderons les nouveaux agriculteurs qui s’installent dans cette démarche. Pour s’adapter, il faut une installation-transition. La concertation sera large, nationale et territoriale, et démarrera dans les prochains jours. Le plan France 2030 mobilise des moyens très importants dans cet objectif, sur les thématiques prioritaires du gouvernement dans l’agriculture que sont la robotique agricole, le biocontrôle, la sélection variétale. Cette révolution du vivant, des solutions fondées sur la nature comme de l’AgriTech, bénéficie de plus de 500 millions d’euros.

Vous êtes en charge de la souveraineté alimentaire et on estime que 20 % du contenu de l’assiette d’un Français est importé de l’étranger. Dans quelle proportion et de quelle manière comptez-vous réduire cette dépendance ?

Les différentes crises que nous avons traversées comme celle de la Covid-19, ou que nous connaissons encore avec la guerre en Ukraine, ont remis sur le devant de la scène cet impératif de souveraineté alimentaire. Il nous faut prendre conscience que la souveraineté alimentaire est une question de liberté. Nous allons donc procéder filière par filière, comme nous l’avons initié début octobre pour les fruits et légumes, afin d’identifier les problèmes qui sont multiples : produits autorisés, organisation, rémunération, etc. Il faut travailler sur tous ces chaînons pour retrouver notre souveraineté.

Propos recueillis par Bruno Goupille

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