Certains parlent de révolution, d’autre d’évolution ; question de cadencement sans doute. Toujours est-il que les exigences des Français changent. Ils l’expriment sans retenue dans les sondages, mais aussi et surtout dans les rayons de leur magasin, à l’étal de l’épicerie et au marché fermier.
La prise de conscience est à entrées multiples. D’abord les denrées alimentaires ne doivent plus traverser la planète pour atterrir dans nos assiettes. Ensuite les emballages plastiques doivent disparaitre (c’est d’ailleurs ce que prévoit la législation pour 2040). Enfin, nos agriculteurs font bien plus qu’alimenter le pays, ils le structurent. Ainsi donc le travail de chaque maillon de la chaine alimentaire, de la fourche à la fourchette, mérite d’être valorisé.
Comment donc l’industrie agroalimentaire prend-elle en compte toutes ces données pour répondre à l’attente des consommateurs ?
Dossier élaboré par Stéphane de Laage
Il est loin le temps où la GMS expliquait aux Français comment et quoi consommer. Il est loin aussi, ce temps où la fraise était indispensable en février, ou la viande brésilienne était moins chère. Les acteurs de la chaine alimentaire réfléchissent, inventent ou se verdissent, c’est selon. Mais aucun ne reste insensible aux exigences du consommateur. « C’est lui qui décide », explique Philippe Noyau, le président de la chambre régionale d’agriculture. Souvenez-vous de la création en 2017, de la marque bien nommée « c’est qui le patron ?»… En passant la brique de 75 centimes à 90 centimes voire 1€, elle a fait un tabac en redonnant de la valeur au travail de l’éleveur et en lui versant un salaire décent. Le « consomm-acteur » est donc prêt à cela. Et il n’est pas seul : désormais, paysans et industriels s’associent pour valoriser leurs déchets respectifs. Certains utilisent même la chaleur fatale de l’entreprise voisine pour chauffer leurs serres. L’ADEME finance largement des programmes. On voit ainsi se déployer une intelligence commune qui profite à tous, et en premier lieu à la planète. On est entré de plein pied dans ce que l’on appelle le développement durable, qui s’appuie sur ses trois piliers que sont le social, l’écologie et l’économie, unis et compatibles pour la progression de notre environnement.
La relance en locale
L’évolution réside aussi dans la création de filières qui favorisent le travail en commun, et les approvisionnements de proximité. L’agriculture le fait en associant les acteurs, au-delà des frontières administratives régionales, et c’est aussi le sens du plan de relance qui a lancé de nouveaux appels à projets pour les acteurs locaux, et pour lesquels il est encore temps de candidater. L’objectif est de donner à tous un accès à une alimentation saine et durable, question de justice sociale et de santé publique. Le Plan de relance soutient le développement de projets locaux permettant l’accès aux produits frais et de qualité, en particulier pour les populations isolées ou modestes. Il soutient les initiatives des acteurs de l’économie sociale et solidaire ; par exemple le développement et la distribution de paniers d’alimentation, la création de magasins de producteurs dans des zones isolées, de commerces ambulants, ou encore l’organisation de marchés solidaires … (Pour plus d’information, consultez le site internet de la préfecture de région).
Éduquer, anticiper
En moyenne, les aliments parcourent 2.400 Km avant d’arriver dans notre assiette, avec pour l’environnement les conséquences que l’on sait. Alors il n’est pas rare que les habitants d’une ville choisissent collectivement de produire sur place les aliments dont ils ont besoin, parfois en lieu et place de friches industrielles, de quartiers désertés après une crise ou en périphérie proche. En France, le « plan friches » intégré au plan de relance, prévoit de financer à hauteur de 6M€, la revalorisation de ces espaces perdus. En Angleterre, les jardins citadins et les bacs potagers se multiplient sur les trottoirs et sur les places. L’expérience de la serre du futur, (dont il est question plus loin), pourrait aussi être déployée de cette façon, à en croire son initiateur Emmanuel Vasseneix. « Avec des serres au cœur des villes, dit-il, on serait vraiment locavor. On peut aussi imaginer inventer de nouveaux métiers de jardiniers urbains et pourquoi pas en profiter pour faire de la réinsertion sociale ».
Toutes ces idées sont entre nos mains et celle de la génération montante. L’éducation est une valeur incontournable. Lors de l’Open de 2020, cette idée a été retenue pour déterminante dans la transition alimentaire. L’idée est d’inscrire l’éducation à l’alimentation dans les programmes scolaires de la maternelle à la terminale. Une proposition de programme a été rédigée en ce sens, elle s’appelle EDUC’AGRIFOOD.
En préemballé, une consultation nationale pour l’Education à l’alimentation de nos enfants cherche à connaitre l’avis des parents et des enseignants sur ce sujet. La question est posée : « nos enfants savent-ils bien manger » ? Les résultats de cette consultation citoyenne seront communiqués le 15 juin prochain…
Les chiffres clés l’industrie agroalimentaire en Centre-Val de Loire
(Données Dev’Up, agence de développement économique Centre-VdL)
– 5ème surface agricole de l’hexagone
– 25.000 exploitations, dont 1.500 en agriculture biologique ou résonnée
– 48 coopératives
– 5 AOP fromagères, 2 AOP Viticoles et 2 IGP
– 43.000 emplois dont 12.000 dans l’industrie et la distribution
– 330 établissements industriels (pâtisserie boulangerie industrielle, viande, lait, boissons, fruits et légumes, sucre…)
– 3MD€ de chiffre d’affaires (dont 1MD€ à l’export)
– les grands noms : Mars Petcare, Triballat, LSDH, Harrys, Andros, St Michel, Antartic, Tradival, Rians, Monin…
– une marque © du Centre, un cluster fédérateur : Area
INTERVIEW :
AREA, tisser un lien nouveau dans une industrie qui se réinvente
Thierry Dubois est président de l’AREA Centre-Val de Loire*, association des entreprises agroalimentaires.
L’Epicentre : Comment voyez-vous évoluer le secteur de l’agro-alimentaire ?
Thierry Dubois : Le terme de révolution ne me semble pas adapté à la réalité du moment. C’est plutôt une nouvelle étape dans son évolution engagée après-guerre. Ce n’est pas une rupture, mais un cycle nouveau qui s’engage, une phase de transition, de changement fort, dans une évolution qui s’inscrit dans la continuité.
C’est une phase de bouillonnement dont le point de départ est sociétal. Depuis 10 ans, on assiste à un retour de l’alimentation au cœur du projet sociétal. En témoignent les émissions populaires comme Top chef, le Meilleur pâtissier ou Laurent Mariotte.
L’Epicentre : A qui doit-on ce regain d’intérêt pour notre alimentation ?
Thierry Dubois : C’est une lame de fond dans la société. Plusieurs facteurs concomitants participent à cela : le souci de notre santé d’une part, mais aussi de l’environnement, et la recherche de sens qui ramène chacun vers la nature.
La question est la concomitance : comment manger encore mieux, et la volonté de durabilité de notre environnement. Ajoutons la monté en puissance de la RSE, responsabilité sociétale des entreprises.
Tout cela amène à la mise en avant de la notion de filières, de la fourche à la fourchette. Il s’agit de décloisonner la production, la transformation et la distribution et de nouer des accords pour mieux offrir de meilleurs produits.
Exemple avec la forte vague de « l’Origine France », voire origine régionale, engagée depuis quelques années à peine, mais qui répond à une attente de plus en plus forte.
On voit que des producteurs cherchent à transformer et vendre eux-mêmes comme les ateliers à la ferme. On voit aussi des entreprises de transformation qui s’intéressent à l’amont agricole et qui investissent pour pérenniser et relocaliser en France. Chez Berry Gaines par exemple, née il y a quelques années, de jeunes agriculteurs produisent du quinoa, du petit épeautre, des pois cassés et un tas d’autres graines et supergraines. Ils ont créé un atelier de transformation en farines diverses. Des contrats ont été noués entre plusieurs dizaines d’agriculteurs en local et ont débouchés sur un grand nombre de récompenses.
L’Epicentre : n’est-ce pas en quelques sortes un retour en arrière ?
Thierry Dubois : Il y a un peu de ça. La forte diversification des circuits de distribution, AMAP en vente directe mais aussi le Drive et e-commerce, ainsi que le redéploiement d’accords locaux ou régionaux de fournitures à la GMS. On revient aux origines de la GMS où les premiers accords d’approvisionnement étaient locaux. C’est dans les années 80 avec la monté en puissance des plateformes logistiques, que l’internationalisation s’est faite jour.
On revient à des systèmes multicanaux. Les méthodes et les convictions ne s’opposent pas, comme le bio ne va pas à l’encontre du conventionnel.
L’Epicentre : La filière se réinvente en quelques sortes.
Thierry Dubois : Oui, je suis frappé par le dynamisme, l’innovation et la création d’entreprises dans l’agroalimentaire. Beaucoup de strat’up notamment – Néo gourmets à St Cyr-sur-Loire, qui fait du chocolat sans sucre ajouté, PMA28, fruito-food, qui fait des fruits déshydratés et de la distillation pour extraire des huiles essentielles, ou encore N’Bred Process à Contres qui fait du pain et des crackers à partir de légumes.
Rappelons que l’agroalimentaire est le deuxième secteur économique de la région, avec 360 entreprises dont 300 TPE ou PME. Le maillage du territoire est très fort, réparti sur l’ensemble du territoire. Et les entreprises travaillent entre elles.
L’Epicentre : elles travaillent aussi leurs contraintes…
Thierry Dubois : C’est incontournable. Au-delà de la qualité des produits, s’engagent des actions ciblées sur les emballages, sujet de fond actuellement. il faut en réduire la quantité, limiter les suremballages et en réduire le poids et l’épaisseur. En cinq ans, on a gagné plusieurs dizaines de pourcents.
une autre étape consiste à les rendre plus recyclables et recyclés possible. Enfin, l’aspect le plus complexe est l’alternative avec des matériaux non plastiques. Beaucoup de travaux sont en cours pour répondre aux obligations de l’Europe et de la France, mais aussi des consommateurs. Si le citoyen mène la danse, le chef d’entreprise vise la pérennité de son entreprise, notamment en répondant à cette attente, désormais incontournable.
L’Epicentre : Quel est le rôle de l’AREA pour tout cela ?
Thierry Dubois : Elle met les gens en contact, de l’extérieur et de l’intérieur, également avec les collectivités et l’Europe. Sans être financeur, l’AREA apporte une solution au bouillonnement de l’agroalimentaire. Il faut travailler son image et son attractivité. Étonnement, cette image n’est pas celle qu’elle mérite. Les étudiants, les jeunes et ceux qui les entourent, parents et enseignants, ne connaissent pas toutes les opportunités qu’offre l’agroalimentaire.
Après la fermeture de l’IFRIA (son centre de formation dédié), L’AREA redéveloppe une nouvelle offre de formations, orientée vers les métiers techniques, pilote de lignes ou agent de maintenance. On a même développé pour cela une offre de formation qualifiante en ligne. On crée des partenariats avec des spécialistes de la formation (Ste Croix St Euverte ou AgroParistech à Orléans, en passant par le CFA de la métropole orléanaise. On développe aussi des formations intra-entreprises, très applicatives. Elles limitent les déplacements et répondent aux besoins des entreprises.
Notre vocation est de répondre en tous domaines aux besoins de l’entreprise et du secteur.
* L’AREA compte actuellement 206 adhérents dont 145 entreprises agroalimentaires de la région (pour 350 entreprises identifiées, soit 50%), ainsi que des représentants de parties prenantes (administrations, collectivités locales, fournisseurs).
Le maraichage du futur, c’est maintenant !
Le groupe LSDH relocalise les productions de soja, de quinoa ou d’épeautre dont il a besoin pour ses produits lactés. En parallèle, il travaille depuis trois ans à son projet de serre du futur, dans laquelle la nature est imitée, voire optimisée pour produire avec moins d’eau !
Pour entrer dans ce qui n’est aujourd’hui encore qu’un laboratoire, il faut montrer patte blanche. Car dans la serre du futur, le principe est de faire pousser des légumes hors sol, sans intrant ni pesticide. Pas question de laisser sa chance au moindre insecte ou parasite. Sur 3.000m2 poussent des salades et des herbes aromatiques bien alignées. Vu du dessus, rien d’impressionnant pour une culture hors-sol. La terre est remplacée par des cubes hydrophiles, dans lesquels se développent les graines pour devenir des salades, de la ciboulette ou du basilic. C’est en dessous que ça se passe. Un chariot arroseur se déplace et abreuve régulièrement les racines qui pendent sous la surface et donc à l’air libre. Étonnante vision, habituellement cachée. C’est ce que l’on appelle l’aéroponie.
L’équipe d’ingénieurs agronomiques d’Arnaud Chosson travaille à régler le moindre détail. Qualité de l’eau, régularité de l’alimentation, température, hygrométrie et pression atmosphérique. « On peut modifier chaque paramètre et bien plus, dit-il. La lumière par exemple, qui est essentielle dans la vie d’un végétal. On en règle l’exposition, mais aussi la qualité des UV, leur intensité ou leur chaleur ».
Une logique à contre-courant
Pour couper court aux détracteurs, Emmanuel Vasseneix, patron du groupe LSDH qui développe ce projet à Saint-Denis-de-l’Hôtel, rappelle les enjeux de ce programme d’envergure : « Il s’agit de produire intelligemment et proprement, reproduire la nature et à terme, exporter des savoir-faire et de l’innovation plutôt que des salades. C’est le fruit d’un travail collectif et collaboratif ». Le programme de l’agriculture du futur se développe chez LSDH en collaboration et en exclusivité avec des chercheurs suisses, des start’up du Lab’O à Orléans et des industriels internationaux. Le patron a certes des idées humanistes, mais les fermes bio à l’autre bout du monde, ce n’est pas pour épater la galerie, d’autant qu’il n’en fait pas état. « Ne vaut-il pas mieux implanter durablement ces savoir-faire pour rendre les pays autonomes, plutôt que d’exporter au prix de transports carbonés, des produits à peu de valeur ajoutée » ?
Dans l’immédiat, il s’agit pour LSDH de produire des salades calibrées, propres et qui ne souffriront pas du transport ; de réduire les émissions de carbone et bien-sûr l’eau. L’aéroponie ne donne justement que la quantité exacte dont la plante à besoin. « En pleine terre, explique Arnaud, bien sûr il y a la pluie. Mais en ces temps de dérèglement climatique, il faut aussi arroser, et de plus en plus. C’est comme ça que le ruissellement lave les terres ». L’équation est donc simple quand on sait que la salade est constituée de 90% d’eau, il faut être au plus juste.
Ajoutons que ces légumes ainsi cultivés s’affranchiront des saisons et seront donc disponibles toutes l’année chez nous. On oubliera alors l’empreinte carbone insupportable des fraises espagnoles en février !
Ce n’est pas de la science-fiction, les premières études ont débuté en 2017. Deux ans plus tard, la serre fut construite, et en septembre prochain les premières herbes aromatiques seront dans les rayons de la GMS.
Humaniste ?
Une question se pose : que deviendront les agriculteurs et les maraichers ? « On est loin de pouvoir appliquer cette technologie à tous les végétaux, explique Emmanuel Vasseneix, pas même à toutes les salades. Il restera du travail pour tous, surtout s’il on veut bien rapatrier certaines productions importées. C’est un projet de société, insiste Emmanuel Vasseneix. Allons plus loin et imaginons que l’on installe des serres comme celle-ci au cœur des villes. On serait vraiment locavor en se servant aux pieds de chez soi, sans transport. On peut aussi imaginer inventer de nouveaux métiers de jardiniers urbains et pourquoi pas en profiter pour faire de la réinsertion sociale ». Et les laboratoires pharmaceutiques, eux aussi pourraient être preneurs d’une telle technologie, en quête qu’ils sont de végétaux parfaitement stables, constants et immunes.
Vasseneix voit donc loin, très loin, guidé par cette lumière qui donne l’espoir d’un avenir pas si sombre.
L’idée de filière est maitresse
Le groupe LSDH (2.000 collaborateurs, 920M€ de CA), aura investi dans les trois prochaines années 300M€ dans ses projets pour produire différemment. L’un des projets majeurs est la construction d’un extracteur de protéines végétales. Les graines de soja, de colza, d’avoine, de quinoa ou d’épeautre, seront cuites puis broyées avant d’être centrifugées. La fibre servira d’alimentation animale, tandis que le jus sera intégré aux yaourts et autres desserts que produit la laiterie. Ce savoir-faire est pour l’heure sous-traité en Italie. Fallait-il d’investir 30M€ dans une telle unité ? « Oui, répond Emmanuel Vasseneix, car l’idée va plus loin. Outre la relocalisation, on crée une filière, qui intègre les agriculteurs, qui vont produire sur place, en Région, et livrer sans transport ou presque ».
La folle équation du cornichon
Le marketing du Made in France bat son plein. Mais il ne s’agit pas que de verdir l’entreprise. Les entreprises de transformation ont retenu la leçon et se battent pour l’Origine France garantie.
Sachant que pour produire 70.000 pots de cornichons par an, il faut environ 20 tonnes de cucurbitacées, combien d’équivalents temps plein faut-il pour récolter un champ d’un hectare et demie ? vous avez deux heures !..
Dite comme ça, l’équation peut prêter à sourire. Sauf que les chiffres sont à peu de chose près les bons et que le résultat se trouve en Inde. Il y a bien longtemps que la culture du cornichon ne se fait plus en France. Les grands faiseurs comme Maille et Amora ont trouvé plus habile de les planter dans le sud de l’Inde. La main d’œuvre y est moins chère et la météo autorise trois récoltes par an, pour une seule en France. Résultat : le cornichon revient standardisé, et cinq fois moins cher. Ainsi, 95% des cornichons consommés en France arrivent en conteneurs.
Idem pour la moutarde. Il y a des lustres que la graine n’est plus cultivée chez nous. Le Quebec est devenu le premier producteur mondial. La PAC nous a fait abandonner cette culture peu rentable au regard des subventions européennes.
Produire en France
Stop ! disent certains transformateurs convaincus. C’est le cas de Martin Pouret, qui depuis 1795 soigne sa renommée en produisant les vinaigres d’Orléans, les moutardes et maintenant les cornichons, dans le respect de la tradition française. Bien sûr, il y eut quelques coups de canif pour survivre dans un marché mondialisé. Mais la jeune génération de chefs d’entreprises fait marche arrière et tient ses comptes différemment. Paul-Olivier Claudepierre et David Matheron ont repris l’enseigne il y deux ans à peine, insufflant une politique très volontariste en matière de production locale. Et ce n’est pas que pour faire joli sur l’étiquette ! « Il est insensé de cultiver la moutarde sur le continent américain, de lui faire traverser deux fois l’Atlantique pour vendre le condiment sur le marché US ». Alors c’est dit…, ils ont choisi de produire en France. « On travaille avec des semenciers pour l’élaboration d’une graine Martin Pouret, pour minimiser les phytosanitaires tout en maintenant le rendement ». La marque vient de planter 22 hectares de moutarde dans le Pithiverais et devient ainsi le seul fabriquant français à avoir l’intégralité de sa production locale. « Le gout est différent, poursuit Paul-Olivier, car la graine est plus grâce, elle n’a pas été séchée sur pied par des phyto, et le produit fini est donc plus onctueux ».
Beau, bon et responsable
Avec 780.000 produits vendus chaque année, Martin Pouret reste une « petite belle maison », comme on dit dans le monde de la gastronomie. Mais ses exigences ne l’empêchent pas de jouer dans la cour des grands, bien au contraire. A l’heure ou l’alimentation est une variable d’ajustement dans le budget familial, le chiffre d’affaires de l’entreprise a progressé de 15% cette année encore, alors qu’elle propose des produits souvent deux à trois fois plus chers que l’entrée de gamme. Désormais référencés dans toute la GMS et dans les épiceries fines, Paul-Olivier Claudepierre et David Matheron se targuent se refléter des produits « beaux, bons et responsables ». « On parvient même à conquérir de nouveaux marchés, y compris à l’étranger ». Mais l’une de leurs très belles récompenses cette année, c’est leur entrée officielle sur la table du palais de l’Elysée !
Le consommateur est roi
Dans le monde, 70% de la nourriture humaine est produite par des petites exploitations pour les habitants locaux. L’agriculture intensive, elle, produit peu et souvent mal. Elle affaiblit la terre, jusqu’à la détruire, produisant une grande partie d’aliment pour nourrir les animaux ou produire des agro-carburants. Elle compense alors par des pesticides et des OGM pour des plants plus résistants.
Des expériences, encore trop rares, se font jour avec succès. La permaculture par exemple, sans arrosage ni pétrole, démontre son efficacité. L’idée est de mixer les cultures. On sait que la monoculture est dangereuse, comme l’est la mono-industrie. « Oui ça fonctionne, convient l’économiste Bernard Lietaer, mais c’est extrêmement fragile ». C’est la diversité qui donne de la valeur en mixant les revenus et en limitant les risques. Le système est plus résiliant.
Que fait-on chez nous ? Rencontre avec Philippe Noyau, président de la chambre régionale d’agriculture.
L’Epicentre : Plus que jamais, tous les maillons de la chaine agro-alimentaire se mettent en ordre de marche pour répondre à une demande nouvelle des consommateurs.
Philippe Noyau : Oui, la crise sanitaire a ouvert des voies qui se faisaient jour. Mieux manger, plus intelligemment ; on est sur la bonne voie. l’Open-agrifood par exemple participe à ce besoin d’une communication coordonnée du monde agricole et du monde industriel. Avec l’AREA, association régionale des entreprises alimentaires, on aborde la question des circuits courts, et de l’export de l’excellence : céréales et blés durs. La marque © du Centre permet quant à elle de reconnaitre nos marques vertueuses en GMS comme chez les restaurateurs.
Les chambres d’agriculture travaillent à pousser ces repères et les faire valoir, en montrant que les agriculteurs sont présents et peuvent produire sainement. Si la loi Egalime, Agriculture et alimentation, n’a à ce jour, pas servi à grand-chose, l’intention est bonne. Il s’agit de constater le cout de revient d’un produit en amont, et d’établir le prix final en fonction du prix réel de production, pour que chacun ait sa marge, et bien que sa marge. Pour ce faire, la chambre d’agriculture du Centre-Val de Loire adhère à la toute récente association interrégionale du grand ouest Leggo, à laquelle participent aussi la Normandie, la Bretagne et les Pays de Loire. L’objectif est de créer des filières de légumineuses à graines pour l’alimentation humaine. On importe 90% de notre consommation. Nous voulons être acteurs d’un renversement de situation, avec un traçage, sans OGM. Pour autant, il ne s’agit pas de surproduire des lentilles vertes que l’on propose déjà, mais plutôt des lentilles noires ou corail, ou des pois-chiches, et de répondre ainsi à la demande nouvelle de protéines végétales.
L’Epicentre : Vous ne craignez pas les oppositions ?
Philippe Noyau : Non, nous ne sommes pas contre les protéines animales, nous ne faisons que répondre à la demande nouvelle. D’ailleurs, cette association compte aussi les coopératives, les négoces, la restauration collective, et bien entendu les industriels de l’AREA. Une autre association est également en cours de création par la FNSEA et les chambres d’agricultures, pour initier la dynamique et le label bas carbone, ainsi que la valorisation des systèmes « écosystémaux ». Il s’agira notamment de faire valoir les efforts des industries les plus polluantes et de labelliser leurs résultats.
On sent très nettement que l’agriculture saisit la balle au bon pour faire valoir ses intentions. On parle désormais de ce que l’on fait, et l’on répond à la demande.
L’Epicentre : l’idée est aussi d’éduquer le consommateur
Philippe Noyau : Pour un grand nombre de produits, les GMS jouent le jeu de cette nouvelle intelligence. Mais ça ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Le prix le plus bas, quelle que soit la provenance, continue de côtoyer les produits plus responsables. Sans une loi européenne qui imposerait des taxes fortes sur ces produits d’import, sur les produits OGM et ceux cultivés ou manufacturés par des petites mains à 1€/jour, il n’y a pas de solution.
L’Epicentre : Le consommateur est-il enfin prêt à vous suivre ?
Philippe Noyau : J’insiste, pour cela il faut parler de ce que l’on fait. Ainsi, quand le consommateur a le choix, il viendra vers ces produits certes plus chers, mais meilleurs. La crise sanitaire, qui a limité l’import durant quelques mois, a montrer cette voie nouvelle au consommateur. Il faut continuer à communiquer, car à l’évidence, quand on propose du « bleu, blanc, rouge », le consommateur adhère.
De la production à la consommation, reconnaissons qu’il y a du gaspillage à tous les échelons. Il faut apprendre à être plus responsables de nos actes et accepter au final de payer un peu plus cher pour manger mieux. Exit le poulet brésilien à un euro qu’on ne finit pas, bienvenu au poulet de Bresse qui fait trois repas !
Les quelques centimes d’écarts sont finalement assez peu de chose pour le consommateur lambda, c’est souvent ce qui fait la différence pour l’agriculteur. Encore faut-il que le consommateur soit informé de ce que nous faisons.
Philippe Noyau, président de la chambre régionale d’agriculture : « quand on lui propose du « bleu, blanc, rouge », le consommateur adhère »
Le thé Made in Perche
A Sargé-sur-Braye sur les collines du Perche, quelques hectares de plantations inhabituelles sont posés sur la frontière naturelle du Loir-et-Cher et de la Sarthe. Bienvenue dans l’univers des collections de thés et tisanes bios, made in France.
Créer du goût, révéler les parfums et sublimer les saveurs, voilà ce qui anime Emile Auté, le bien nommé ! Il y a quelques temps, Emile a introduit la culture du thé en Loir-et-Cher. Il faut dire qu’il n’est pas étranger à ce monde. Autrefois tenancier d’un bar à cocktails, dans la bonne ville de Cognac, il faisait ses cueillettes de plantes sauvages et ses cultures de fleurs comestibles pour les cocktails. De fil en aiguille, il finit par s’intéresse au thé. « En achetant du Earl Grey, j’ai découvert des pétales de fleur bleue. J’aurais été moins surpris d’y trouver un agrume comme la bergamote ». Dans cette démarche de cocktails divers, depuis 2015. il crée des thés aromatisés de haute qualité avec des fruits, des fleurs et des baies que l’on déshydrate dans nos ateliers. Ici, pas de thé à la mangue, banane ou ananas, mais plutôt aux fraises, poires, cassis ou groseille, voire subtilement aromatisés avec des superfruits riches en antioxydants, vitamines et minéraux que l’on cultive sur place.
La donne économique a changé
S’est alors logiquement posé la question de faire pousser le thé en France. Après tout, n’est-ce pas un camélia comme un autre, ou presque ? « Camelia sinensis est en effet le cousin du japonica qui peuplent nos jardins ».
Il n’y avait autrefois aucun intérêt économique à produire le thé sur nos terres. « La donne a changé, explique Émile. Au-delà l’idée de produire un produit d’exception, l’intérêt est aujourd’hui de réduire l’impact du déplacement des matières premières et d’offrir un revenu complémentaire à des paysans bio qui en ont bien besoin ».
Ajoutons qu’il n’y a encore pas si longtemps, la consommation du thé existait certes, mais celle des thés aromatisés n’était pas vraiment encrée dans nos habitudes.
A force d’une recherche agronomique parfois hésitante, l’adaptation de la plante est aujourd’hui satisfaisante. Emile travaille des plans acclimatés grâce à la production de graines issues d’une vingtaine de plans qui ont été acclimatés en Bretagne depuis plusieurs décennies déjà.
A partir de pieds mères, issus de graines venues de Chine, les « cultivars » français, à la génétique du camélia chinois, se sont adaptés localement. Aujourd’hui, le thé pousse sur un peu plus d’un hectare, avec une pépinière qui produit les plans de théiers, et donne du travail à quatre personnes salariées. Mais Emile est en cours d’acquisition de nouveaux espaces pour atteindre une dizaine d’hectares.
La première récolte obtenue chez son ami Michel Thévot en Bretagne, a reçu un bel accueil. Présenté à un concours international organisé par l’AVPA, l’agence de valorisation des produits agricoles, ce thé blanc a obtenu une médaille de bronze devant une quinzaine d’autres candidats.
« Alors oui, on peut faire du thé en France et en plus en faire du bon » ! Qu’on se le dise, ainsi va désormais l’agriculture locale.
Stephane de Laage